Sidi Larbi Cherkaoui : retrouver l’étymologie de la danse

Cela se passe une fin d’après-midi ensoleillée du début de l’automne sur une terrasse aux abords du théâtre Bourla à Anvers. Sidi Larbi Cherkaoui, entre plusieurs tournées, y travaille déjà sur sa création 2007 : « Je fais des recherches autour des quatre archétypes de Jung, autour de l’idée de l’ombre. » Né dans cette ville d’un père marocain et d’une mère flamande, cet enfant prodige de la danse y sera en résidence pour quatre années au Toneelhuis, dirigé par le metteur en scène Guy Casiers. C’est la première fois qu’il va créer un spectacle ici, où il a pourtant acheté une maison en 1999 mais n’a pas encore véritablement eu le temps de s’y installer. « Je suis très heureux d’être de retour, ce sont comme des retrouvailles. Une recherche d’acceptation. » Il dit cela, puis ajoute : « Mais peut-être dans un an j’aurai envie de repartir sur les routes. Je ne sais pas. »

Après avoir suivi une formation à Parts (école bruxelloise dirigée par Ann Teresa de Keersmaeker), il a été associé pendant plusieurs années aux Ballets C de la B d’Alain Platel, basés à Gand. Sidi Larbi Cherkaoui est un artiste nomade (« C’est exactement le sentiment que j’ai : je m’installe quelque part, je fais quelque chose, je le donne, puis je m’en vais »). Il a, ces dernières années, enchaîné les créations à l’étranger. En 2005, il créait à Londres le formidable Zero degrees en duo avec Akram Khan, célèbre danseur de kathak, également à la double culture (indienne et anglaise), sur une composition originale de Nitin Sawhney (« de la pop influencée par la musique traditionnelle indienne, cela a un effet émotionnel fort »). Le spectacle sera repris en décembre à Paris.

Il a travaillé pour le ballet de Genève et à deux reprises pour celui de Monte Carlo. En 2006, associé au 20e anniversaire de cette compagnie, il y a créé Mea Culpa, avec « des costumes incroyables » de Karl Lagerfeld (« c’est quelqu’un de très intelligent, on dirait une encyclopédie vivante, il connaît tout ! »). Ses spectacles sont toujours alimentés par son questionnement face au monde, directement marqués par ses lectures et l’actualité. Pour Mea culpa, il voulait réagir au débat qui avait lieu alors en France quant « aux bienfaits du colonialisme » : « Ma question était : est-on responsable des erreurs de nos ancêtres ? Au plus je mûris et au plus j’ai tendance à répondre oui. Tout a un passé, tout a un poids. » Il ne conçoit pas l’art comme une abstraction « au-dessus du reste » : « La danse n’est pas un tout dans la vie, la danse est là comme un outil pour parler du tout de la vie. C’est comme avoir une bonne conversation, c’est un miroir où le spectateur ne rencontre pas le créateur mais lui-même.»

Pour Cherkaoui, la danse est un rituel, « un moment de sublimation qui met les gens ensemble ». La notion de coexistence et de mélange est dès lors fondamentale dans sa démarche. Dans son spectacle Foi, il avait demandé à chacun de ses danseurs en quoi il croyait et avait orchestré la vie en communauté de toutes ces fois rassemblées. Sidi Larbi Cherkaoui se nourrit de tout et ne se limite pas aux techniques propres de la « danse pure» (« je refuse de penser en terme de catégorie ») afin de donner un maximum de moyen à l’expression. A chaque spectacle, il absorbe d’autres genres et garde ce qu’il aime de ce nouvel acquis dans ses créations futures. Difficile de faire le tour d’une personnalité si riche, toujours en activité (« je travaille non stop, ma vie c’est ça »), volubile (« si je parle trop vite, vous me le dites »). Enfant, son « premier acte artistique » était le dessin. Mais la musique et le chant occupent aussi une part prépondérante dans son univers en constante transformation. « J’aimerais sortir de l’exotisme des choses pour entrer dans la sensation de l’émotion. Je veux retrouver l’étymologie de la danse. » Et dans cette voie, il ne se soucie pas d’innover à tous prix : « Je veux retourner vers certaines sources pour aller de l’avant. L’innovation vient dans l’amour, c’est la seule façon d’avancer. »

(L’Eventail, 2006)