Nymphéas

— Claude Monet (1840-1926)

Le ciel s’était retourné. Ou les arbres. Que savait-on encore des lois de la gravité ? Monet n’était-il pas seul maître en son univers ? L’horizontalité n’était-elle pas un délire de nos sens ? L’enfer était un gouffre lumineux. La joie, un matin pleureur. Les plantes se développaient comme un organisme. L’eau était ce qui, de près ou de loin, l’entourait. Source et réception. Écran de projection de la vie et vie. Dans la représentation, l’ombre et le reflet ont autant de consistance que l’objet. Fusion du solide et du liquide. Alliance de l’insaisissable et de la matière. Car, sur cette surface où les nénuphars dormaient avec les nuages, les nymphéas étaient les seuls indices. La vue du peintre avait débusqué une autre manière de voir. La vérité remuait dans la confusion. La tête nous tournait déjà. Le paysage devenait intérieur. L’alternance était alcoolisée. Zone claire. Zone obscure. Zébrures magnétiques. On devinait la terre quelque part sous nos pieds, empêchant l’étang de se dérober. Car la terre, c’était l’art de retenir le monde.
(extrait L’Adieu au paysage – Les Nymphéas de Claude Monet, La Différence, 2008)